Le regard d'un astrophysicien

Astrophysicien à l’IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie), directeur de recherche au CNRS, Jürgen Knödlseder a mené plusieurs travaux sur l’empreinte carbone de la recherche en astronomie. Il dresse un parallèle entre ses études et la réflexion actuellement menée par les utilisateurs de la Flotte océanographique française.

Dans quel contexte avez-vous initié vos travaux sur l’empreinte carbone de la recherche en astronomie ?

À l’IRAP, nous avons entrepris notre premier bilan de gaz à effet de serre en 2019. Nous avons pris en compte les paramètres habituels : la consommation en électricité des bâtiments, le chauffage, les déplacements, les achats… Mais une question est restée en suspens : combien pèsent les données que nous utilisons pour nos recherches ? Jamais personne n’avait vu les choses sous cet angle. C’est cela qui m’a poussé à aller plus loin. En 2022, j’ai publié une étude qui montre que le premier facteur d’émissions de gaz à effet de serre pour l’IRAP, ce sont les moyens d’observation, au sol et dans l’espace. Ils représentent environ 60% de l’empreinte carbone de l’institut. Ce ratio est globalement le même pour toute la communauté astronomique en France.

Quels enseignements avez-vous tirés de ce travail ?

Nous avons d’abord souhaité compléter cette première étude. Nous nous sommes intéressés à l’évolution de l’empreinte des moyens d’observation, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les résultats de cette seconde étude ont été publiés fin août 2024 dans la revue Nature Astronomy.

Il en ressort une forte croissance dans les années 1960-70, au moment de la course à la Lune. Après ce premier pic, l’empreinte a nettement diminué. Mais aujourd’hui, elle repart à la hausse, notamment en raison des nouveaux acteurs de la deuxième conquête spatiale, comme l’Inde ou la Chine. Dans le domaine des océans, on pourrait comparer cela à l’exploration des pôles.

À partir de cette évolution dans le temps, nous avons imaginé ce qui pourrait se passer à l’avenir. Nous avons établi plusieurs scénarios.

Le seul où l’on peut atteindre les objectifs de diminution des émissions de CO2, c’est celui dans lequel on combine une décarbonation accélérée (à partir par exemple du développement des énergies renouvelables pour le fonctionnement des observatoires) à une baisse de 3% par an du nombre d’observatoires.

« En résumé, la solution passera, selon nous, par une décroissance des moyens d’observation. »

Jürgen Knödlseder

Comment cette idée est-elle accueillie par la communauté des chercheurs ?

Evidemment, il y a des résistances. Car chacun a envie de continuer ses recherches. Il y a également des questions géopolitiques qui entrent en jeu : chaque pays veut avoir le meilleur outil. Mais il faut revenir à la raison. Si on continue comme ça, les observatoires vont créer tellement de données qu’il faudra des intelligences artificielles pour les analyser ! En parallèle, on voit aussi que les choses bougent. La pression commence à monter de la base pour réduire l’empreinte de la recherche astronomique.

Une décroissance du nombre d’observatoires signifierait-elle une baisse de l’activité de recherche en astronomie ?

Non, une manière simple d’accompagner cette décroissance, c’est d’utiliser les données d’archives, actuellement sous-exploitées. On peut faire de la belle science et de vraies découvertes avec ces données !

Votre travail fait écho à la réflexion actuellement menée par les utilisateurs de la Flotte océanographique française. Avez-vous un message à leur transmettre ?

J’ai pour habitude de dire que sur une planète morte, il n’y a pas de science. Quand on travaille sur des questions qui touchent au système Terre ou au climat, on est au cœur de l’urgence actuelle. Mais ce n’est pas la recherche qui va améliorer le climat. Il est temps de passer à l’action.

Il faut imaginer une recherche autrement. Si nous, chercheurs, n’arrivons pas à concevoir un monde différent, comment veut-on que d’autres, qui ont de vraies contraintes économiques et financières, changent ? Nous avons une responsabilité particulière en tant que scientifiques.

 

 >> Accéder aux publications

Scenarios of future annual carbon footprints of astronomical research infrastructures,  Nature Astronomy, DOI:10.1038/s41550-024-02346-0

https://hal.science/hal-04678247v1 
https://arxiv.org/pdf/2407.16011

Knödlseder, J., Brau-Nogué, S., Coriat, M. et al. Estimate of the carbon footprint of astronomical research infrastructures. Nat Astronomy (2022).

https://hal.science/insu-03672035v1
https://arxiv.org/abs/2201.08748