1.2. Les thématiques, enjeux et quelques résultats récents
1.2.1. Géosciences marines
Thématiques et enjeux généraux
La communauté GM est active sur des thématiques et chantiers très divers tels que l’évolution du trait de côte, la dynamique des dorsales océaniques et la formation de la lithosphère océanique, les zones de subduction, les arcs volcaniques, les aléas sismiques et gravitaires, l’interface entre la lithosphère océanique et l’océan, l’analyse des archives sédimentaires pour l’étude des processus de transfert et de dépôt des particules qui sédimentent et pour les reconstructions paléoclimatiques et paléocéanographiques. Les préoccupations de la société pour l’océan, les littoraux et les aléas associés se sont amplifiées ces dernières années renouvelant le questionnement scientifique mais aussi économique sur :
- La nature des liens entre les changements géodynamiques et tectoniques et la dynamique océanique, le climat, l’érosion et l’enregistrement sédimentaire;
- L’établissement, via l’archive sédimentaire et fossile, d’un bilan de matière Source-to-Sink réaliste/complet et la modélisation des différents paramètres et forçages qui régissent cette dynamique;
- Les aléas sismiques et gravitaires en relation éventuellement avec la genèse de tsunamis ; Les aléas côtiers liés aux impacts anthropiques et au changement climatique (ex. érosion du trait de côte);
- Les ressources minérales et énergétiques marines (granulats, énergies marines renouvelables)
- La reconstruction des fluctuations paléoclimatiques et paléocéanographiques à partir de l’étude des séries sédimentaires et des coraux ; ces reconstructions permettent l’identification des processus et interactions qui contrôlent les changements climatiques ainsi que le rôle de l’océan sur l’évolution du carbone atmosphérique aux échelles de temps associés à la dynamique de l’océan et des calottes glaciaires ou à celles beaucoup plus longues des modifications orbitales de l’insolation ou de la géodynamique interne;
- La tectogénèse des marges actives ou passives et la migration des fluides depuis le manteau et la croute jusqu’à la surface en contexte sédimentaire et aléas associés;
L'étude des processus et des interactions eau-roche dans les grands fonds et l’impact des flux hydrothermaux sur les grands cycles biogéochimiques globaux et les écosystèmes marins.
Par ailleurs, les équipes françaises sont historiquement très impliquées sur les marges passives (atlantique, méditerranéenne, indienne) comme sur les marges actives (Andes du Nord, Japon, Méditerranée, SO Pacifique, Océan Indien, Antilles).
Résultats illustratifs
La communauté scientifique a innové dans quatre domaines en plein essor : (1) la réduction des risques et l’adaptation au changement climatique dans les zones littorales, en contribuant à évaluer de manière quantifiée les facteurs d’érosion et de submersion marine modifiant le trait de côte (voir aussi le document de prospective "Surfaces et interfaces continentales 2013-2017" de l'INSU), (2) l’instrumentation pour les grandes profondeurs, notamment en géophysique, avec le développement de capteurs et de dispositifs nouveaux pour l’électromagnétisme (ACEM), la gravimétrie (GRAVIMOB), la géodésie et l'observation sismique, (3) l’acquisition de données in-situ du milieu profond via des développements instrumentaux innovants (PERISCOP, AUV 6000 en cours, ...) et les observatoires fond de mer (programme EMSO : 11 sites d’observatoires marins; IR EMSO-France avec 3 sites cibles Açores (MOMAR), façade Ligure et Marmara) et 4) le développement d’un carottier grande profondeur, qui propulse la France aux premiers rangs mondiaux pour la collecte de séries sédimentaires longues par carottage. Cette spécificité a permis à la communauté scientifique d’être active au sein des programmes PAGES/SCOR (IMAGES) en contribuant à des avancées de première importance concernant la variabilité climatique et océanographique des derniers 300000 ans (Waelbroeck et al., 2010 ; Gottschalk et al., 2016). Le programme Actions Marges (coll. INSU-Ifremer-BRGM-Total ; http://actionsmarges.fr) a permis de coordonner les laboratoires nationaux dans trois grands domaines : 1) la rupture continentale dans le golfe d’Aden-Afar (Leroy et al., 2011), 2) les reconstructions paléoclimatiques et la crise salifère Messinienne dans les bassins méditerranéens de l’ouest (Druissi et al., 2015) et les reconstructions sédimentaires « source to sink » des marges passives (Rouby et al., 2013).
En parallèle, l’enjeu lié aux zones de permis d’exploration minière à grande profondeur (>3000m) induit des campagnes océanographiques associées à des moyens lourds (HOV Nautile, ROV Victor).
Parmi les nombreuses avancées scientifiques obtenues ces dernières années, on peut citer par exemple les liens entre les aléas sismiques et gravitaires et les changements de géodynamique et tectonique avec les mises en évidence suivantes : 1) une corrélation entre les séismes profonds ou côtiers et l’accumulation au fond de la mer de dépôts de courant de turbidité générés par le mouvement du fond marin et la mise en suspension de sédiment (MARADJA2, PRISME, Figure 1 ; Babonneau et al., 2016); 2) un couplage entre dynamique et structure profonde des zones de subduction et l’origine des grands tremblements de terre (Singh et al., 2011 ; 2017) ; 3) des liens entre les éruptions volcaniques, la néotectonique et les effondrements de pentes volcaniques et tsunamis dans les Antilles françaises (ODEMAR, GWADASEIS, BATHYSAINTES ; Escartin et al., 2016 ; Leclerc et al., 2016).
Figure 1
Par ailleurs, comprendre la formation, la dynamique et l’évolution de la lithosphère océanique reste une problématique fondamentale des recherches en géosciences, révélant des interactions complexes entre le magmatisme et la déformation au niveau des dorsales océaniques lentes et ultra lentes. Les résultats obtenus lors des dernières campagnes hauturières démontrent que les mécanismes observés sont 1) un mode localement sans alimentation magmatique à l'axe dont l’accommodation de divergence des plaques s’effectue via la mise à l’affleurement tectonique du manteau lithosphérique sur plusieurs dizaines de km (SMOOTHSEAFLOOR, SWIR, Sauter et al., 2013 ; Cannat et al., 2009), 2) la remontée et l’exhumation du manteau le long d’une faille transformante transpressive due à la nature du manteau lithosphérique sous-jacent plutôt qu’à un changement cinématique (COLMEIA, Maia et al., 2016), et 3) la formation des failles de détachement créant des « Oceanic Core Complex » (MOMARDREAM, ODEMAR, Figure 2 ; Andréani et al., 2014 ; Escartin et al., 2017).
Figure 2
1.2.2. Physique-Biologie-Cycles
Thématiques et enjeux généraux
L’objectif majeur des recherches dans ces domaines est de mieux comprendre :
- les processus océaniques physiques et biogéochimiques ;
- leurs variabilités à différentes échelles de temps et d’espace ;
- leurs rétroactions possibles avec d’autres compartiments du système terre (continent, atmosphère, glace, lithosphère) ;
- l’impact du changement climatique et de la pression anthropique sur l’océan physique et biogéochimique, les deux conduisant à des modifications environnementales importantes et rapides pour certaines (modification de la stratification, de la circulation, fonte des glaces, augmentation du niveau de la mer, acidification, changement des volumes des zones de minimum d’oxygène, apports continentaux et atmosphériques incluant l’arrivée de nouveaux polluants, etc.).
Pour répondre à ces objectifs, la communauté mène des projets de recherche dédiés
- à l’étude des processus internes à l’océan, à ses interfaces et ses liens avec les forçages externes ;
- au diagnostic de l’état moyen actuel, de la variabilité et des évolutions à long-terme (tendance, rupture, cycles) de la circulation, des contenus océaniques en chaleur, sel, CO2, et O2, mais également des grands cycles des éléments chimiques, de la quantification de la pompe biologique, etc…
Ainsi la communauté Physique-Biologie-Cycles s’appuie sur les navires côtiers et hauturiers de la FOF pour mener de grands projets monodisciplinaires (ex. RREX, CASSIOPEE) ou multidisciplinaires (ex. AWA, AMOP, GEOVIDE, OUTPACE, JERICO-NEXT, CIGESMED, HYMEX-MERMEX-DEWEX). Sans compter les Services d’Observations (Section1.2.5), plusieurs dizaines de projets ont pu être ainsi conduits au cours des 5 dernières années grâce à la FOF.
Les campagnes monodisciplinaires, essentiellement dans le domaine de la physique côtière et hauturière, se sont intéressées aux processus physiques impactant les masses d’eaux, leur dynamique et leur variabilité dans des régions aussi contrastées que l’Océan Atlantique Nord, le Golfe de Gascogne, l’Océan Austral ou encore le Pacifique Ouest. Les processus physiques considérés sont la circulation grande-échelle et les structures de méso-échelles, les interactions courant-topographie, la formation des eaux profondes, les upwellings, le mélange turbulent.
Les campagnes pluridisciplinaires se sont intéressées à certains processus physiques ou biogéochimiques clefs et au rôle des processus physiques sur la biogéochimie et les écosystèmes.
Dans le domaine hauturier ces études ont porté sur la zone de minimum d’oxygène dans le Pacifique Sud Est, la formation de saumures dans les régions Arctiques, les études de processus et flux de carbone dans l’océan Pacifique et Austral, l’hydrologie et les caractéristiques biogéochimiques des masses d’eau en Méditerranée (Chantier MISTRALS) et l’influence des apports atmosphériques (poussières), des sédiments des marges et du mélange physique sur les cycles des éléments traces. La contribution de l’océan physique au stockage et transport de carbone anthropique, d’oxygène, et à la distribution des éléments traces et leurs isotopes a également été étudiée. Les sources, la réactivité et/ou la dynamique de la matière organique le long du continuum continent-océan, en lien avec les forçages environnementaux (notamment hydrodynamique et hydrodynamique sédimentaire) mais également les contaminants, ont reçu une attention particulière sur les côtes continentales et en outre-mer. Le lien physique-biologie (par exemple hydrodynamique-zooplancton), la réponse des écosystèmes au changement climatique et aux pressions anthropiques (incluant par exemple le suivi des contaminants dans les réseaux trophiques) ont également fait l’objet de nombreuses recherches.
Ces recherches sont menées à différentes échelles d’espace et de temps. Certaines campagnes parcourent des milliers de km pour étudier des successions de régions dynamiques et de régimes trophiques (ex. OUTPACE 5000km) tandis que d’autres se focalisent sur des zones restreintes mais extrêmement clefs comme la Méditerranée Nord-Occidentale (programme MISTRALS), le Golfe de Gascogne, les îles du Pacifique ou le Golfe de Guinée quand on considère l’échelle des sous-bassins. A une échelle plus petite encore, les recherches ont été menées au voisinage des côtes proposant par exemple l’étude d’un écosystème particulier comme la région de l’upwelling en Afrique de l’Ouest (AWA, EPURE) ou d’un ensemble d’écosystèmes. Certaines campagnes sont effectuées de façon unique, tandis que d’autres sont réalisées plusieurs fois par an pour étudier le cycle saisonnier (SPOT, MOOSE-GE), voire, pour celles qui s’appuient sur des services d’observation, à fine fréquence temporelle et de façon interannuelle (ex. projet MOSLIT). D’autres enfin, sans être labellisées Service d’Observation, existent depuis bientôt 20 ans (OVIDE). Ces recherches sont généralement associées à d’autres plateformes déployées en mer (engins autonomes, mouillages), et sont adossées aux observations satellitaires et à des efforts de modélisation.
Enfin, ces projets s’inscrivent, dans les programmes internationaux mentionnés plus haut comme GO-SHIP, CLIVAR, GEOTRACES, SOLAS etc et dans lesquels la communauté française est très impliquée, active et reconnue.
Résultats illustratifs
L’étude du cycle hydrologique et biogéochimique annuel en Méditerranée nord-occidentale dans le cadre du projet DEWEX-MERMEX/HYMEX (Figure 3) illustre la richesse de faire collaborer les communautés Océan et Atmosphère, l’intérêt du suivi saisonnier et une valorisation importante de l’utilisation de plusieurs navires de la FOF.
Figure 3
Le projet MOSLIT (EC2CO-DRIL, Figure 4) illustre le lien entre projets de recherche, services d’observation et Flotte Océanographique Française puisqu’il s’est appuyé sur les données et la logistique du SNO SOMLIT, et ainsi sur environ 900 sorties en mer des bateaux de stations et de façade de la FOF entre 2007 et 2014.
Figure 4
Les résultats illustrent 1) la dominance du phytoplancton en dehors des estuaires, 2) l’importance des diazotrophes en Méditerranée (système oligotrophe), 3) le gradient continent-océan au sein d’un même écosystème ou le long d’un continuum (flèches noires), et 4) les forçages majeurs : hydrodynamique sédimentaire (elle-même liée à la météorologie et au climat) et le statut trophique (oligotrophie versus méso/eutrophie) des écosystèmes (Liénart et al., 2017).
1.2.3. Biologie-Ecologie-Biodiversité
Thématiques et enjeux
Si les concepts fondamentaux de la biologie restent identiques sur terre ou en mer, les caractéristiques du milieu marin imposent des modalités de fonctionnement et une réactivité des écosystèmes spécifiques. Comme pour d’autres domaines, exploration et expérimentation sont sous fortes contraintes d’accès et les moyens spécifiques, et notamment la flotte, structurent la communauté en un ensemble cohérent et interactif.
L’enjeu majeur reste de caractériser LES biodiversités et leurs dynamiques, dans un contexte de changements globaux et d’impacts anthropiques diversifiés, enjeu que les nouvelles technologies de séquençage (NTS), de même que des moyens d'observation en temps réel, non invasifs (ex. biologging, capteurs embarqués sur animaux), et des capteurs à haute résolution spatiale et temporelle comme ceux associés au réseau d’infrastructures côtières jointes européennes JERICO-Next, peuvent permettre d’envisager, que ce soit pour des recherches sur l’évolution biologique, la biogéographie ou le fonctionnement des écosystèmes. L’intégration de cet important afflux de données avec les apports de l’océanographie physique et chimique est en cours à différentes échelles pertinentes pour intégrer l’écologie dans des modèles holistiques.
Dans le domaine pélagique l’étude de la composante biologique (plancton) est généralement intégrée dans les campagnes pluri-disciplinaires de biogéochimie (ex. KEOPS2, MERMEX,…) incluant des études de biodiversité au sens large : phylogéographie, réseau trophique, mécanismes adaptatifs.
L’exploration de la biodiversité dans les milieux profonds par les équipes françaises se maintient au premier plan international, notamment grâce aux engins submersibles de la FOF (section 2.4.1 et Annexe 5). Cela concerne les écosystèmes chimiosynthétiques (ex. MESCAL, BIG, BIOBAZ, BICOSE, WACS, CONGOLOBE), souvent en lien avec des campagnes de géosciences, et les études écologiques associées à l’observatoire grand fond EMSO-MOMAR (MOMARSAT). Mais ce sont aussi les écosystèmes abyssaux des pentes continentales ou des monts sous-marins (notamment l’actuel programme Tropical Deep Sea Benthos du MNHN http://www.mnhn.fr/fr/recherche-expertise/lieux/tropical-deep-sea-benthos qui donne accès à 40 années d’échantillonnages réalisés lors des campagnes MUSORSTOM sur les milieux profonds des grandes îles tropicales avec un focus sur l’outre-mer français, mais aussi BOBECO, MAD, etc…) qui se développent.
L’écologie des communautés et des réseaux trophiques apporte une réponse concrète à la demande de diagnostic sur l’état écologique des milieux côtiers, et bientôt plus au large, pour le suivi de l’espace marin dans son ensemble (DCE ou DCSMM), et plus particulièrement pour les Aires Marines Protégées (AMP) actuellement en plein développement. La mise au point d’indicateurs nécessite l’accès à des zones références non impactées par l’Homme avec les moyens de la FOF (cf. programme PRISTINE et Iles éparses). L’étude de la connectivité des populations, via les marquages et suivis télémétriques ou les outils de la génétique, constitue un élément indispensable pour l’établissement et le suivi des AMP.
Toutes ces approches sont également mises en œuvre dans la ceinture intertropicale, où la concentration exceptionnelle de biodiversité présente dans les écosystèmes coralliens et les menaces qui pèsent sur eux du fait du changement climatique font l’objet d’une attention particulière (Campagne POSTBLANCO de suivi du blanchissement corallien en Nouvelle-Calédonie et campagnes SUPERNATURAL, CARIOCA sur l’effet de l’acidification de l’océan sur l’écosystème récifal).
Résultats Illustratifs
Parmi les nombreuses campagnes en biologie, écologie, biodiversité réalisées dans tous les océans et à toute latitude ou profondeur, voici deux exemples contrastés. L’un dans le domaine côtier utilisant un navire de station pour étudier le parasitisme chez une espèce commerciale, la coque ; l’autre dans le domaine benthique profond, utilisant un navire hauturier et un submersible pour étudier l’adaptation en milieu extrême d’une symbiose chimiotrophe, Bathymodiolus azoricus.
Compétition vs. Parasitisme chez les coques
Depuis 1998, la population de coques (bivalve) est échantillonnée mensuellement sur le banc d’Arguin (Gironde) à partir des missions organisées sur le navire de station Planula 4. Il a été démontré une relation inverse entre la densité des coques et le nombre de parasites trématodes qui les infestent (Figure 5-A). Ainsi une forte densité de coques, qui entraîne classiquement les manifestations de la compétition (croissance moindre, mortalité accrue), peut également avoir des effets bénéfiques pour la population hôte en les débarrassant de certains parasites. Le mécanisme sous-jacent proposé repose sur l’effet de dilution : pour un stock de parasites donné dans l’eau, plus le nombre d’hôtes sera grand plus les parasites seront dilués au sein de la population de coques et moins les individus seront infestés (Figure 5-B).
Figures 5 A et 5 B
Remontée de faune hydrothermale en conditions isobares
Une des critiques majeures pour l’étude de la biologie des organismes profonds est que la variation de pression lors de la remontée des échantillons affecte leur physiologie dans des proportions supposées préjudiciables. Depuis une quinzaine d’années l’équipe de B. Shillito (UPMC) développe un ensemble d’instruments hyperbares pour tenter de contourner ce problème. Pour la première fois, durant la campagne BIOBAZ en 2013, le ROV Victor a pu prélever des moules sur les sites de la dorsale médio-atlantique entre 800 et 2400m de fond, et les placer dans PERISCOP, dispositif permettant de conserver la pression du fond jusqu’à l’arrivée à bord du navire, le Pourquoi-Pas ? Les premières analyses ont porté sur l’abondance des symbiotes bactériens de ces moules qui ne varie pas par rapport à des moules remontées sans contrôle de la pression (Szafranski et al., 2015). Par contre, l’analyse de l’expression différentielle des gènes entre ces deux conditions démontre clairement un effet de la remontée sans contrôle de la pression pour le site le plus profond, mais pas en deçà, validant ainsi certaines études faites jusqu’à présent mais incitant à tenir compte de l’effet de la remontée au-delà de 2000m (Tanguy et al., comm. pers.).
1.2.4. Halieutique
Thématiques et Enjeux généraux
En plus des campagnes de recherche ponctuelles, la majorité des campagnes halieutiques menées ces dernières années viennent alimenter des séries chronologiques longues (les plus longues depuis les années 1970), à pas de temps annuel. La plupart sont institutionnelles (IBTS, PELGAS, EVHOE, CGFS…), financées dans un cadre communautaire et non évaluées par la communauté scientifique. Quelques actions de valorisation sont cependant évaluées. Elles peuvent être réalisées sur navire hauturier (N/O Thalassa pour les campagnes IBTS par exemple), ou côtier (celles-ci peuvent aussi être financées localement). Les campagnes côtières sont réalisées à bord du N/O Thalia pour les coquilles Saint-Jacques, Côtes de la Manche pour les campagnes ORHAGO et Europe en Méditerranée. L’usage de navires professionnels de petite taille peut être requis pour les zones estuariennes, ou faute d’un navire océanographique disposant de capacité de chalutage à panneaux sur les façades Manche-Atlantique. Toutes ces campagnes doivent être réalisées à des périodes imposées (liées au cycle biologique des espèces) et précisées dans les protocoles internationaux lorsqu’ils existent. Il s’agit principalement de collecte de données biologiques qui seront à la base du diagnostic sur l’état des stocks des principales espèces exploitées. Au fil du temps, ces campagnes se sont diversifiées et permettent aujourd’hui de collecter également des données sur l’ensemble des espèces échantillonnées et sur l’environnement ; il s’agit plus généralement de contribuer à l’observation de l’ensemble des compartiments des écosystèmes du plateau continental (de l'hydrologie à la production primaire et jusqu’aux prédateurs supérieurs).
Ainsi, les grands domaines de recherche abordés grâce aux campagnes couvrent un champ très large: interactions individu-environnement, distribution spatiale, habitats et connectivité des populations de poissons, dynamique des populations de poissons, dynamique spatio-temporelle des communautés ichtyologiques et de leur diversité, fonctionnement des réseaux trophiques marins, interactions ressources halieutiques-flottilles de pêche, interactions écosystème-usages multiples, etc. Des questions de méthodes d’observations sont aussi abordées par certaines campagnes (étude de l’observabilité, du « Target Strength » acoustique des poissons pélagiques, etc), ainsi que des méthodes d'automatisation de l'échantillonnage et de la détermination (ex : de la combinaison CUFES sur N/O Thalassa et ZooCAM pour l'échantillonnage en continu et la reconnaissance semi-automatisée des œufs de poisson et du zooplancton).
Résultats Illustratifs
En Méditerranée
Historiquement, les protocoles des campagnes halieutiques ont été construits pour alimenter les bases de données servant à produire des indicateurs sur l’état des stocks. Ces séries chronologiques sont désormais exploitées dans un cadre scientifique plus large, et constituent des données de base pour des travaux de recherche dont les résultats sont largement diffusés (thèses, M2, publications référencées, colloques, etc…).
A titre d’exemple, les données issues des campagnes PELMED ont révélé des changements démographiques et biologiques dans les populations de petits pélagiques dans le Golfe du Lion au cours des vingt dernières années. Alors que la biomasse d’anchois a considérablement chuté entraînant avec elle une crise de la pêcherie, l’abondance des sardines s’est maintenue ou a même augmenté. Dans le même temps, un changement important de la structure en taille de ces espèces a été observé, les sardines et les anchois étant beaucoup plus petits depuis 2008 qu’avant. Cette diminution de la taille résulte pour la sardine à la fois d’une baisse de la croissance et d’une perte des individus les plus âgés (perte des classes d’âge supérieures à 2 ans ; Van Beveren et al., 2014, Figure 7, ci-contre), alors que seule la croissance semble en cause pour l’anchois.
Halieutique et biodiversité marine dans le Pacifique Sud-Ouest
L’IRD collabore activement avec la CPS depuis 2005 sur la thématique des ressources halieutiques pélagiques. Le thon est une ressource primordiale pour la plupart des petits pays du Pacifique et représente une part importante de l’économie locale dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie et Polynésie Française. Les captures totales de thons dans le Pacifique occidental et central n’ont cessé d’augmenter depuis les années 1980 pour atteindre en 2015 un total de 2,7 millions de tonnes (soit 80% des captures dans le Pacifique et 56% des captures mondiales). Le travail s’est focalisé sur la compréhension du fonctionnement de l’écosystème pélagique et sur les interactions entre le thon et son environnement. Depuis 2011 en particulier les études portent en particulier sur les niveaux trophiques intermédiaires (zooplancton et micronecton) qui représentent la nourriture des prédateurs supérieurs comme les thons et les oiseaux marins. Sur la thématique du micronecton pour lequel il existe très peu de données de terrain, la série des campagnes océanographiques pluridisciplinaires NECTALIS (1 à 5) a été réalisée autour de la Nouvelle-Calédonie entre 2011 et 2016 à bord de l’Alis. Les campagnes MOM-ALIS et INTERCASTEAUX ont permis d’élargir notre travail aux oiseaux marins. Ce travail de collecte de données se poursuit dans le cadre du projet BIOPELAGOS (programme Best 2.0 financé par l’Union Européenne) qui se déroule sur 3 ans (2016-2019) en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna avec 2 autres campagnes : PUFFALIS programmée en 2017 et WALLALIS demandée pour 2018 toujours à bord de l’Alis avec des collectes de données physiques, chimiques, biologiques (phytoplancton, zooplancton, micronecton) et acoustiques.
1.2.5. Les services d’observation
Thématiques et enjeux généraux
En Sciences de l'Environnement, les observations régulières réalisées sur de longues périodes ont été et apparaissent de plus en plus comme un dispositif incontournable d’accompagnement de la recherche et de soutien aux engagements contractuels envers l’Etat. En effet, pour chacun des milieux naturels, il est nécessaire de comprendre les mécanismes fondamentaux de leur fonctionnement, de prévoir les évolutions possibles à différentes échelles de temps et de construire des modèles de prévision qui devront assimiler des données fiables. Pour mener à bien ces recherches et répondre aux attentes de la société, la communauté des Sciences de l’environnement s’implique dans l'observation systématique des milieux naturels, afin de suivre leur évolution, la comprendre et la modéliser. Cette mission est le fondement des prévisions qui constituent une des ambitions de l'effort scientifique.
La structuration de l’observation nationale (SNO, SOERE, Infrastructures de Recherche), a permis de soutenir des études à long terme des environnements marins qu’ils soient principalement impactés par l’évolution du climat (interaction océan/atmosphère), directement soumis aux influences de l’activité humaine telles que les eaux littorales et côtières, ou encore dans des environnements benthiques particuliers. Les observatoires et réseaux d’observation sont maintenant reconnus comme indispensables pour obtenir des données sur le long terme afin de déterminer les évolutions du milieu et des processus (physique, biodiversité, écosystèmes, cycles biogéochimiques) liés au changement global et à l’impact anthropique. Sur la période 2011-2016, plus de 600 jours par an ont été dédiés aux opérations des observatoires labellisés à partir des navires hauturiers, de façade et de station. Pour l’instant, très peu de structures nationales d’observation couvrent la ZEE française d’outre-mer, laissant un vide important.
En parallèle, la montée en puissance de l'océanographie opérationnelle (projet MERCATOR/Coriolis) demande un plus grand flux de données en temps quasi-réel via des systèmes d’observation automatisés (mouillages, mesures de surface en transit, profileurs ARGO, profils de stations CTD, sondes XBT, bouées dérivantes SVPs, etc.). Ces développements requièrent du temps navire, en particulier pour la mise en œuvre et la maintenance des engins autonomes.
Les observations à partir de la flotte de station (stations marines et OSU)
Les observations réalisées dans les zones facilement accessibles (après quelques heures de navigation au maximum) utilisent essentiellement les navires de façade de l’INSU et de l’IFREMER, mais également en permanence la flottille des Stations Marines. Le bilan actuel, pour la flotte de station, du nombre de jours dédiés aux opérations d’observation est de l’ordre de 260 jours (Tableau 1).
Ces études littorales et côtières sont aussi de plus en plus souvent pluridisciplinaires pour appréhender correctement les couplages physique-chimie-biologie dans ces milieux anthropisés et à dynamique complexe. Cette flottille est également sollicitée pour la maintenance de mouillages et sites instrumentés en milieu côtier (réseau national CoastHF de l’infrastructure de Recherche ILICO). Sa programmation locale lui permet d’être réactive, qualité indispensable pour assurer la logistique associée aux équipements de mesures autonomes (mouillages instrumentés, AUV, gliders, flotteurs), nouvelle technologie actuellement intégrée dans tous les programmes en cours. Le mode de programmation de cette flottille, souple et proche des utilisateurs, apporte généralement satisfaction. Il est impératif de maintenir cette souplesse d’utilisation et la qualité de cette flottille qui seule permet de soutenir les activités récurrentes de recherche et d’enseignement des stations marines, d’assurer les missions de plongées pour les observations biologiques et écologiques.
Tableau 1
A ce jour, il n’existe aucun navire de station proprement dit localisé outre-mer. Actuellement, un seul OSU a été créé et pourrait servir de support, celui de La Réunion, mais il n’a pas de bateau. En revanche, deux navires couvrent ou ont couvert cette fonction, mais de façon sporadique et sous-dimensionnée (Amborella du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et La Curieuse à La Réunion).
Les observations à partir de la flotte de façade
La programmation des navires dits de façade (essentiellement côtiers) est en train d’évoluer avec une augmentation des demandes récurrentes dans le cadre des services d’observations scientifiques labellisés mais aussi du développement des services publics (ex. DCSMM). Outre l’échantillonnage régulier (mensuel à annuel) sur des stations références (réseaux SOMLIT et MOOSE), les besoins portent sur la maintenance de sites instrumentés, dont le nombre et la complexité augmentent, notamment en Méditerranée nord-occidentale (BOUSSOLE, MOLA, ANTARES, …). Le bilan actuel fait état d’un besoin de l’ordre de 70 jours.
La flotte de façade doit nécessairement se moderniser pour la mise en œuvre des stations « fond de mer » et pour répondre aux besoins émergents de l’océanographie opérationnelle, notamment avec l’installation à bord de systèmes de mesures automatisés (type ferry box) et de communications haut débit.
Les observations à partir de la flotte hauturière
La flotte hauturière est elle aussi fortement sollicitée pour assurer des opérations liées aux activités d’observation scientifiques avec une demande de l‘ordre de 180 jours de mer:
- Pour des campagnes spécifiquement dédiées (PIRATA, MOOSE, OVIDE…)
- Pour des transits valorisés (MINERVE, OISO, SURVOSTRAL…).
- Pour les observatoires « fond de mer » sous la responsabilité de la France et intégrés à un consortium européen ERIC (European Research Infrastructure Consortium), lequel assure une mise en réseau de 11 sites observatoires marins multidisciplinaires (géosciences, biologie, océanographie). EMSO-France est devenue une Infrastructure de Recherche (IR) avec 3 sites cibles : Açores (MOMAR), façade Ligure et Marmara. Ces trois sites concernent environ 120 utilisateurs repartis sur 15 labos, dont près des 2/3 relèvent des géosciences marines.
- A noter que l’ensemble de ces opérations d’observations permet de valoriser des transits (voir ci-dessous). De ce fait, le nombre de jours total reporté pour les services OISO-CARAUS, MEMO, NIVMER, SONEL… est donné à titre indicatif.
Les campagnes hauturières d’observation accueillent régulièrement d’autres opérations par mutualisation du temps navire et valorisation des transits.
- PIRATA, de par ses campagnes annuelles et selon des radiales répétées dans une même région, constitue une plateforme pour réaliser des opérations d’opportunité (mât instrumenté, radiosondages, collecte d’échantillons CARBOCHANGE, déploiement de gliders, de bouées dérivantes SVP et de flotteurs Argo, mesure en continu d’isotopes).
- MOOSE-GE assure depuis 5 ans une maintenance mutualisée des mouillages hauturiers hydrologiques de la façade méditerranéenne nord-occidentale. A partir de 2017 cette mutualisation de maintenance pourrait s’élargir aux deux bouées ODAS de Météo-France, sous réserve de sa pertinence scientifique. De nombreux programmes de recherche s’appuient implicitement sur la pérennité des services d’observations (ex. Chantier MISTRALS avec MOOSE et FiXO3).
Sans être labellisé Service National d’Observation, le projet OVIDE contribue depuis 2002 à l'observation des éléments de circulation du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord en réalisant tous les deux ans une section d’hydrographie-géochimie-courantométrie entre le Groenland et le Portugal et en déployant des profileurs Argo. La section OVIDE a été réalisée tout d’abord dans le cadre du projet OVIDE (tous les deux ans de 2002 à 2010) puis par le laboratoire espagnol CSIC en 2012 et 2016 et en 2014 lors de la campagne GEOVIDE de GEOTRACES/France. La section OVIDE est une des lignes « à haute fréquence » du programme international Go-Ship et contribue à la TGIR Euro-Argo par le déploiement de profileurs et au projet international OSNAP. Comme PIRATA, OVIDE contribue au SNO SSS et à GOSUD par l’échantillonnage systématique pour la mesure de la salinité, ainsi qu’à CARBOCHANGE via la prise d’échantillons pour les paramètres CO2. Certaines observations sont transmises en temps quasi-réel à CORIOLIS (profils CTD et XBT).
Enfin, certains services (SSS, Argo) qui reposent sur la FOF font également appel à des navires océanographiques étrangers ou à des navires marchands afin d’avoir régulièrement accès à des zones rarement explorées par les navires de recherche. Dans le cadre du SNO Argo France, 56% des flotteurs gérés par la France ont été déployés par des navires de la FOF, 33% par des navires océanographiques étrangers et 11% à partir de navires d'opportunités (voiliers, etc.). Le service SSS s’appuie uniquement sur des navires d’opportunité, mais un regroupement est envisageable à moyen terme avec les données équivalentes issues des navires de recherche.
Halieutique
Les campagnes halieutiques, dites de « service public », non évaluées scientifiquement et non financées sur le budget de la FOF, font partie de campagnes pérennes réalisées à la fois sur des navires hauturiers et côtiers venant alimenter des séries chronologiques longues (depuis les années 80s et 90s), et contribuent au réseau d’observation du Système d’Informations Halieutiques (SIH) de l’Ifremer. Elles sont également le support d’observations complémentaires concernant essentiellement la faune marine. L’utilisation de la flotte pour ces missions d’état porte sur plus de 150 jours de mer (Tableau 2).
Tableau 2
Résultats Illustratifs
PIRATA :
L'utilité et la précision des mesures de pluie et de salinité obtenues à partir des bouées ATLAS du réseau PIRATA sont désormais bien établies, et il est désormais prouvé que la salinité est un paramètre d'une importance capitale dans les tropiques pour le bilan de chaleur dans la couche de mélange et les échanges à l'interface air-mer (des fortes dessalures sont observées en Atlantique tropical en raison des fortes précipitations et décharges des principaux fleuves mondiaux -Amazone, Congo, Niger). Dès 1999, les mesures PIRATA avaient permis la mise en évidence du phénomène de barrière de sel dans l’Atlantique tropical ouest (Pailler et al., 1999). La compréhension de l’impact des variations de la salinité sur la SST est devenue ces dernières années un sujet majeur. L’utilisation des données PIRATA (notamment pour la validation des nouvelles mesures satellitaires dédiées -SMOS, Aquarius) a permis de mieux comprendre l’impact respectif des précipitations et des décharges des grands fleuves sur la couche de mélange et la SST et d’établir des bilans de sel dans le Golfe de Guinée (Figure 8, Da Allada et al., 2013, 2014).
Figure 8
OISO-CARAUS
Les observations OISO, conduites à bord du Marion-Dufresne II depuis 1998, ont contribué à mieux évaluer la variabilité décennale du puits océanique de CO2 (Landschützer et al., 2015). Sous l’influence de la variabilité des vents et du réchauffement ou refroidissement des eaux de surface dans certains secteurs de l’océan austral et suivant les années, le puits de carbone a diminué au cours de la période 1990-2000, mais il a augmenté entre 2002 et 2011(Figure 9). Ces estimations permettent, en particulier, de réviser le bilan de carbone planétaire (Le Quéré et al., 2016).
Figure 9
SOMLIT
Dans les écosystèmes côtiers, le climat régional (AMO, NHT, SST) comme local (vent, précipitations, etc.) a une influence directe sur le fonctionnement des écosystèmes. En particulier un shift au début des années 2000 apparaît à la fois sur des indices et paramètres climatiques et sur des données hydrologiques à l’échelle des trois façades maritimes françaises mais aussi plus localement (estuaire de la Gironde) sur les communautés ichthyologiques (Figure 10). Ces exemples illustrent parfaitement la sensibilité des écosystèmes côtiers au changement climatique, sensibilité qui concerne à la fois les compartiments abiotiques et biotiques.
Figure 10