À quoi ressemblera demain la Flotte océanographique française opérée par l'Ifremer ?
La prospective, conduite en 2017, a abouti à la feuille de route actuelle de l’infrastructure de recherche Flotte océanographique française (IR* Flotte). Quels en étaient les objectifs majeurs ?
Pour mémoire, en 2017, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a confié la mission à François Jacq, alors président-directeur général de l’Ifremer, de lui soumettre des propositions en vue de regrouper l’ensemble des acteurs de la future Flotte océanographique française. En parallèle, une démarche de prospective scientifique, conduite par Catherine Jeandel du CNRS, était amorcée. C’est un exercice qui a été complet, profond, au sens où l’ensemble des thématiques qui intéressent la très grande infrastructure de recherche (TGIR) ont été abordées. Produite et présentée en 2017, elle a servi ensuite au regroupement de l’IR* Flotte océanographique française au sein de l’Ifremer et a permis de construire la planification à moyen terme (PMT). Celle-ci inclut une prévision concernant le niveau d’activité et le renouvellement des navires et des engins, donc un volet d’investissement jusqu’à 2035. Construite en 2018-2019, cette planification à moyen terme a été votée au conseil d’administration de l’Ifremer en octobre 2020. C’est elle qui a permis ces dernières années de mettre en place de nombreux projets comme le remplacement de Thalia par un navire semi-hauturier, le projet de modernisation du Pourquoi pas ? en 2024-2025, la modernisation de L’Atalante. Quant aux engins sous-marins, nous poursuivons le développement d’Ulyx et la modernisation de Victor 6000.
Cinq ans après, pouvez-vous dresser un état des lieux ?
Nous faisons deux constats. Le premier constat, c’est que la planification à moyen terme (PMT) a été écrite en 2018-2019 sans prendre en considération d’impact environnemental. Or, aujourd’hui, la prise de conscience des bouleversements induits par la crise climatique est beaucoup plus vive. On ne peut continuer sur une ligne qui ne prendrait pas en considération cette évolution. Et, second constat, nous avons perçu en 2022 le problème du renchérissement du coût de l’énergie, aujourd’hui associé à une inflation importante. Nous avons donc une double raison de procéder à une revue de nos objectifs d’investissement, ce dans une optique de décarbonation des activités. Mais pour ce faire il faut aussi s’assurer que les projets que l’on va proposer répondent correctement à la prospective de nos utilisateurs scientifiques de l’Ifremer, du CNRS, de l’IRD, des universités marines…
Quels seront les futurs axes de réflexion ?
La prospective sera déclinée selon trois axes. Un axe de prospective scientifique sera animé par Christine David-Beausire. Le deuxième axe concerne la prospective technologique qui va nous permettre de compléter l’identification des technologies innovantes afin de décarboner l’activité, depuis les solutions de propulsion des navires aux drones et à la téléprésence. Le troisième axe est institutionnel : nous avons pensé l’équilibre général de la flotte depuis plus de vingt ans selon de grands axes de partenariat avec la Marine nationale, avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Avec nos partenaires, c’est aussi le moment de faire le point sur ces alliances dans le futur.
Et c’est ainsi que nous allons élaborer une trajectoire de décarbonation. Je précise que ce ne sera pas uniquement avec des solutions technologiques. Si l’on veut atteindre un objectif de diminution de 40 % de notre bilan d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, il va falloir réfléchir non seulement aux solutions « techno » mais, au regard des prospectives scientifiques, également à une façon de travailler différente. Nous souhaitons associer l’ensemble des scientifiques utilisateurs à cette démarche. C’est essentiel.
S’agit-il selon vous d’une évolution ou d’une révolution ?
Cela ne peut pas être une légère inflexion. On parle bien d’une rupture. Dans ce sens, oui, le terme « révolution » est plus adapté que celui d’« évolution ». Si l’on veut tenir nos objectifs ambitieux de moins 40 % en 2030, il va falloir travailler vite. Ce sera une révolution dans la façon de faire. Je ne pense pas qu’il faille être inquiet. On voit que c’est une question qui émerge de tous les labos. C’est une préoccupation qui est montée en puissance tant pour la direction de la Flotte océanographique que pour les équipes scientifiques. C’était le sens de l’intervention d’Éric Guilyardi sur le comité d’éthique du CNRS, le Comets, qui a ouvert ce premier rendez-vous : « Intégrer les enjeux environnementaux à la conduite de la recherche ». La question en définitive est la suivante : quelle science voulons-nous pour demain ?
Quel serait le calendrier associé ?
Nous allons organiser au cours de la deuxième quinzaine de novembre un séminaire avec l’ensemble des utilisateurs scientifiques intéressés. L’idée étant de co-construire ensemble, lors d’ateliers, et de penser la réalisation des campagnes dans le futur, de mieux définir les outils dont nous avons besoin pour répondre à notre objectif de décarbonation. Ce qui va nous conduire à construire des scénarios de plan de renouvellement de la flotte au premier semestre 2024 de façon à présenter à nos tutelles une inflexion de la trajectoire que l’on avait inscrite dans la planification à moyen terme. Dans un futur proche, la prochaine étape, c’est le questionnaire que l’on va largement diffuser en mai et qui va permettre de construire le séminaire du mois de novembre.