Campagne Crossroad | Comprendre la mécanique des courants océaniques

Au large de Terre-Neuve, la campagne Crossroad étudie un endroit précis de l'océan où se superposent des courants chauds et froids. Les scientifiques y observent la mécanique de l'Atlantique Nord pour comprendre ces courants qui influent sur le climat.

La pluie et le beau temps dépendent, en partie, des eaux tumultueuses de l'Atlantique Nord. Des scientifiques de l’Ifremer, des universités marines et du CNRS s’associent pour démêler cet écheveau des courants, autrement dit comprendre la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique, l'AMOC*. Cet acronyme désigne « le transport d'eau chaude dans les couches de surface vers les hautes latitudes et le retour de l'eau froide, en profondeur, vers l'équateur », explique Damien Desbruyères, océanographe physicien au Laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS) et chef de la mission Crossroad.

Neuf mouillages ont été déployés en septembre 2023, au-dessus des pentes continentales situées à l’est de Terre-Neuve. « Nous collectons des données clés comme la vitesse des courants, la température ou la salinité. C'est une zone de transition qui sépare et connecte les grands régimes dynamiques des latitudes subarctiques et ceux des latitudes subtropicales », commente Damien Desbruyères.

Trois campagnes océanographiques

Le projet de recherche repose sur trois campagnes océanographiques. Après le déploiement de mouillages en 2023, depuis le navire allemand Maria S. Merian, deux navires de la Flotte océanographique française sont entrés en scène. En août 2024, le Thalassa a cartographié les courants et les masses d’eau avec une grande précision tout en récoltant des données sur la turbulence. En septembre 2025, L’Atalante récupérera les mouillages et procèdera, également, à des carottages sédimentaires.

Comment l'énergie cinétique se dissipe-t-elle dans l'océan et comment les masses d’eau se mélangent-elles ? Pour le comprendre, ce projet associe une vision à grande échelle à l’observation des turbulences océaniques de l’ordre du centimètre. Destinée à mesurer ces turbulences, une structure innovante conçue au Laboratoire d’océanographie physique et spatiale (LOPS) a été immergée, pour la première fois, en août 2024.

Un câble ancré à 2000 mètres de profondeur

Ce mouillage est équipé d’un profileur glissant le long d’un câble vertical fixe ancré à 2000 mètres de profondeur sous l'effet de la gravité et de sa flottabilité. Au cours de ses montées et de ses descentes, il enregistre des mesures de température et de courant à très petite échelle. Ce qui s’avère primordial pour comprendre la turbulence océanique. En complément, la rosette bathysonde, constituée de bouteilles de prélèvement et de capteurs, a été déployée. « Nous obtenons ainsi une description à très haute résolution des courants et des masses d’eau dans cette zone à l'instant donné », ajoute Damien Desbruyères.

Au-delà du climat immédiat, les carottages sédimentaires, lors de la prochaine campagne en mer, offriront une perspective historique sur les grands courants profonds de bord ouest. « La taille des grains des sédiments peut être reliée à la vitesse de l’eau du fond, explique Damien Desbruyères. Leur étude nous renseigne sur l’évolution des courants passés, durant plusieurs siècles ».

Impacts potentiels sur le climat de nos régions

Pourquoi est-ce important de décrypter l'AMOC ? C'est un acteur majeur du climat mondial. Il le régule et vice-versa. « Les modèles climatiques suggèrent qu’un réchauffement de l’ordre de 1.5°C pourrait entraîner un ralentissement de l'ordre de 20% de l'intensité de l'AMOC, alerte l'océanographe. Ce qui signifie notamment une diminution du transport de chaleur vers le nord. Et des impacts potentiellement critiques sur le climat de nos régions. »

Le projet Crossroad rassemble des chercheurs européens, originaires de France, d'Allemagne et du Royaume-Uni, unis pour relever un défi scientifique majeur. « Nos données et les connaissances acquises serviront aussi à améliorer les modèles de climat du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) », précise Damien Desbruyères.

*AMOC : Atlantic meridional overturning circulation