Interview. campagne ROeCAILLE
Campagne ROeCAILLE 2019
Du 16 au 25 mars et du 11 au 20 août 2019
A bord du Côtes de La Manche
Chef de mission : François Dufois, Ifremer, Dyneco/Dhysed, laboratoire dynamique hydro-sédimentaire
La campagne ROECAILLE se place dans le cadre du projet ROEC (Réseau d'Observation [Haute-Fréquence] pour l'Environnement Côtier), réseau d’observation régional continu de l’environnement côtier.
Le développement de ce réseau s'appuie sur des problématiques scientifiques et sur différentes innovations technologiques.
Le projet ROEC est mené en partenariat avec l'Ifremer, le Shom, le CEREMA, l'IUEM et la station biologique de Roscoff.
La campagne ROeCAILLE s’inscrit dans le volet turbidité de ce projet pluridisciplinaire (physique, hydrologie, biogéochimie et biologie). Les objectifs des campagnes ROeCAILLE consistent à :
- quantifier les profils verticaux des matières en suspension (MES) dans la colonne d'eau au niveau de ces stations ;
- étoffer la quantité de données sur la dynamique sédimentaire dans la zone Bretagne Sud à des fins de validation des modèles.
Sur la Toile :
Vous avez mené à bord du Côtes de La Manche, une campagne en deux legs dans le cadre du projet ROEC. Dans quelle zone s’est-elle déroulée ?
Durant les campagnes ROeCAILLE, nous avons effectué toutes nos mesures en Bretagne Sud, entre Brest et l’embouchure de la Loire. Sept positions différentes ont été visitées une à deux fois, et deux d’entre elles étaient situées par plus de 100 mètres de fond, alors que les autres étaient plus côtières (20 à 30 mètres). Nous restions au point fixe pendant 12H pour effectuer nos mesures pendant un cycle de marée complet.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces stations ?
Parmi ces 7 positions où nous avons réalisé des mesures, 5 correspondent à des stations de mesures de fond (courant, turbidité) mises en place dans le cadre du projet ROEC. Dans le cadre de ROEC ces stations disposées autour de la Bretagne afin d’étudier la dynamique sédimentaire d’environnements variés soumis à des pressions différentes. La station au niveau de la Grande Vasière, par exemple, pourrait mesurer des remises en suspension de sédiments à la fois dues aux tempêtes mais aussi au chalutage. En plus de ces 5 stations, nous avons choisi de faire des mesures devant l’embouchure de la Loire afin de disposer de données dans un environnement ayant une dynamique sédimentaire plus forte. Nous avons également essuyé une tempête qui nous a obligés à nous abriter, et en avons profité pour faire des mesures supplémentaires à l’abri de Belle Île.
La variabilité de l’environnement côtier breton se manifeste par la modification de sa flore et de sa faune (algue verte, crépidule). L’activité humaine influe-t-elle également sur la turbidité des eaux et les habitats benthiques ?
En effet, les activités humaines peuvent avoir un impact sur les habitats benthiques, mais également pélagiques. En modifiant la turbidité des eaux (à travers les matières en suspension), ces activités peuvent également avoir une répercussion sur la pénétration de la lumière dans l’eau et donc in fine la photosynthèse.
Des études récentes menées à Ifremer ont mis en évidence l’impact prépondérant des activités de chalutage sur la remise en suspension de sédiments au niveau de la Grande Vasière en période estivale (https://www.espace-sciences.org/sciences-ouest/365/actualite/les-chaluts-deplacent-les-sediments).
Comment quantifiez-vous les profils verticaux des matières en suspension dans la colonne d'eau ?
Les matières en suspension sont constituées de particules minérales (par exemple de l’argile) et organiques (par exemple du phytoplancton). Du fait de la nature très différente et très variable des matières en suspension en fonction du lieu, de la saison ou encore des forçages (marées, tempêtes, etc.) quantifier leur masse, leur taille, leur densité ou encore leur composition est particulièrement difficile, et pourtant nécessaire pour comprendre leur impact sur l’environnement. Nous utilisons donc un ensemble de systèmes de mesures complémentaires pour les quantifier.
Tout d’abord nous prélevons de l’eau à différentes profondeurs, que nous filtrons, afin de mesurer la masse et la composition des matières en suspension. Nous avons également de nombreux capteurs montés sur un treuil qui effectue des allers-retours de la surface au fond à un rythme lent au point fixe, afin de garantir des mesures en continu quelle que soit la profondeur.
Quels types de systèmes de mesure avez-vous testé lors de cette mission ?
Nous testons un grand nombre de capteurs différents. L’objectif ici est d’étudier la complémentarité de différents capteurs pour mieux quantifier les matières en suspension. Nous utilisons donc bien sur le capteur de référence pour mesurer la turbidité (un turbidimètre), mais également des capteurs qui utilisent la mesure optique ou acoustique pour nous renseigner sur les particules en suspension. Nous testons par exemple des capteurs qui ne sont pas du tout destiné à cette utilisation, mais que nous détournons de leur utilisation. Par exemple, l’ADV (vélocimètre acoustique Doppler), qui permet classiquement de quantifier la turbulence dans l’eau peut nous en dire beaucoup sur les matières en suspension quand il est utilisé conjointement à d’autres instruments.
Le Côtes de la Manche était-il adapté à ce type de mission ?
Le Côtes de la Manche est parfaitement adapté à ce type de mission, et de toute la Flotte, c’est d’ailleurs notre navire préféré. Ni trop gros ni trop petit, sa taille est adaptée à nos besoins pour embarquer notre petite équipe de 4 à 5 chercheurs, bien que le pont soit généralement bien rempli pendant nos campagnes. Il a tous les systèmes de treuil nécessaires à nos manipulations, en particulier le treuil électro-porteur qui permet de renvoyer les informations de nos instruments en temps réel à travers le câble. Le petit laboratoire à disposition nous permet en outre de réaliser différentes mesures, comme par exemple des filtrations de l’eau juste après prélèvement.
La mission avait également pour objectif d’étoffer la quantité de données sur la dynamique sédimentaire dans la zone Bretagne Sud. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Un des objectifs de la mission, en plus des différents tests méthodologiques, était d’augmenter la quantité de données disponibles afin d’augmenter notre compréhension de la dynamique sédimentaire à l’échelle du Golfe de Gascogne. Nous développons des modèles numériques capables de simuler la dynamique sédimentaire du Golfe de Gascogne. Ces modèles sont par exemple capables de prédire les remises en suspension par une tempête ou encore les mouvements de sédiments depuis les rivières vers l’océan pendant des épisodes de crue. Ces modèles, pour être justes, sont très gourmands en données de calibration, et nous avons donc un besoin permanent d’acquérir de la donnée et de la connaissance, pour améliorer nos prédictions.
Quelles premières conclusions tirez-vous de cette mission ?
Nos méthodes de quantification ont déjà fait leur preuve dans des environnements relativement turbides comme l’estuaire de Seine par exemple. Les premiers résultats de ces campagnes ROeCAILLE montrent déjà que l’utilisation conjointe de l’ensemble de nos capteurs est très pertinente pour mieux quantifier les matières en suspension dans les environnements peu turbides que nous avons visités. A terme ces mesures devraient nous en apprendre plus sur les processus qui maintiennent les matières en suspension près du fond alors que l’océan apparaît pourtant très calme.